The Florida Project, l'anti rêve américain - Critique #1
- Julie
- 25 avr. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2020

2017 · 1h 51min · USA
De Sean Baker
Avec Brooklynn Prince, Bria Vinaite, Willem Dafoe
The Florida Project réunit absolument tout ce que j’aime dans la fiction et dans le cinéma : un univers visuel travaillé, des personnages ambivalents, une situation intimiste et touchante qui apporte au-delà de son intimité une réflexion plus large et plus profonde sur un aspect de la société. Un vrai coup de cœur pour ma part.
Le film se déroule comme son nom l’indique, en Floride, plus précisément dans la ville de Kissimmee, non loin de Disney World. La jeune Moonee et sa mère Halley vivent dans un motel miteux, le Magic Castle, aux faux airs de château Disney. Ce film « tranche de vie » suit les aventures de Moonee et de sa bande, livrés à eux-mêmes la plupart du temps et qui font donc bêtises sur bêtises pendant que les adultes tentent, tant bien que mal de joindre les deux bouts.
Le film met en scène des personnages profondément humains, dans le sens où ils font preuve de contradictions, de faiblesse tout comme de force. Le personnage de Halley, malgré son incapacité à éduquer sa fille et à lui offrir un environnement sain où grandir, fait preuve d’un amour inconditionnel pour celle-ci. Les nombreuses scènes qu’elles partagent respirent la complicité et la joie de vivre. Leur relation, qui s'apparente plus à une relation entre soeurs, est pourtant très touchante. Les deux actrices sont superbes et on voit qu'il y a une vraie alchimie entre elles.
J’ai également trouvé très intéressant le personnage de Bobby, le concierge du motel, qui veille sur les résident·e·s tel un ange gardien.

Il fait de son mieux pour aider et protéger Halley et Moonee, ainsi que tous les autres enfants du motel, sans jamais les juger. Ce personnage est un point de repère pour les résident·e·s, mais aussi pour le spectateur. À travers lui, on suit le quotidien de ce motel et de ses habitant·e·s hauts en couleur, en s’attachant à eux malgré leurs défauts. Le film pose un regard bienveillant sur tous ces personnages imparfaits et ne tombe jamais dans le jugement.
Il faut ajouter aussi que tous les rôles sont superbement interprétés. Mis à part Willem Dafoe, l’interprète de Bobby, les autres ne sont pas des acteurs ou actrices professionnel·le·s et pourtant les interprétations sont authentiques et pleines d’émotions, notamment celle de Brooklynn Prince, âgée de 6 ans lors du tournage.
Elle donne vie à cette petite fille au fort caractère et insuffle une énergie folle au long-métrage. Le film est raconté de son point de vue, ce qui apporte une dose légèreté et de joie à une situation plutôt dramatique. La plupart des scènes sont filmés à sa hauteur, ce qui met le spectateur à son niveau à elle. Certaines choses se passent donc hors champs, des choses que Moonee ne comprend peut-être pas de part son âge, mais dont un regard adulte saisira tout l’enjeu dramatique.

L’univers visuel pastel et pop, vient renforcer cette légèreté, mais en vérité ces couleurs pastel cache la misère et la précarité dans laquelle vivent les personnages. Que ce soit le motel, pâle copie d’un château de princesse, ou bien les nombreux endroits que les enfants fréquentent, on sent une influence légère, colorée et « fun ». Ici les enfants font de cet environnement leur propre parc d’attractions, alors que les parents ont à peine de quoi payer un loyer et sont forcés de vivre de motel en motel.

Ce phénomène de « hidden homelessness » ou « sans-abri caché » est une réalité. En effet, le film met en lumière cette partie de la population américaine qui vit réellement dans des motels, faute de mieux. Ils vivent dans la précarité, dans l’ombre de Disney World, lieu emblématique du rêve et de la magie, qui contraste avec la réalité, qui elle est bien loin du rêve américain.
Le motel Magic Castle qui a servi de lieu de tournage est un vrai motel en activité, et d’ailleurs plusieurs résident·e·s apparaissent dans le film. Pour aller plus loin : je vous conseille cet article de Theguardian (en anglais) qui met en lumière ce phénomène.
Certain·e·s pourrait reprocher au film quelques longueurs ainsi qu'une fin questionnable, mais Sean Baker et son équipe ont selon moi réussi à se saisir d’un sujet dramatique pour nous offrir un film rythmé, dynamique, pas dénué d’émotions mais qui ne tombe jamais dans le misérabilisme.




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